Dans plusieurs pays, l’histoire se répète

Internet traverse les frontières, pour parfois les exacerber ! Voilà un constat qui s’impose au regard de la récente saga judiciaire impliquant Google sur les enjeux de désindexation. Tout commence et se développe devant les tribunaux canadiens, pour récemment se déporter devant une juridiction américaine, alors que la justice française s’est penchée sur la question au début des années 2000. L’histoire se déplace, dans plusieurs pays, tout en continuant de se répéter…

Comment appréhender un problème global de manière locale et effective ? Plus concrètement, un tribunal étatique peut-il rendre une décision ayant des répercussions sur les internautes du monde entier ? C’est tout l’enjeu de la réglementation des activités en ligne qui est (encore une fois) sous le feu des projecteurs.

Le 23 juin dernier, la Cour suprême du Canada ordonnait à Google de désindexer de son moteur de recherche tous les sites Internet d’un contrefacteur sur une base mondiale (google.cagoogle.com, etc.). Un mois plus tard, le 24 juillet 2017, Google a saisi la Cour fédérale du district de Californie du Nord pour empêcher l’exécution de l’ordonnance de désindexation aux États-Unis. Ce scénario, qui peut paraître assez inédit, est en fait très proche de l’affaire Yahoo ! qui s’est déroulée en France.

L’affaire Yahoo !

Prise 1 : affaire Yahoo ! En 2000, deux associations portent plainte contre Yahoo ! en France, car il était possible d’acheter des objets nazis par l’intermédiaire de ses sites Internet, en contravention du Code pénal. Le magistrat Gomez condamne alors Yahoo ! à « prendre toutes mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation sur “yahoo.com” du service de vente aux enchères d’objets nazis ». Cette affaire est l’une des premières à soulever la question de la territorialité des lois étatiques et leur application à un site Internet sous toutes ses extensions (.fr, .com, etc.).

Yahoo ! décide alors de saisir la Cour fédérale du district de Californie du Nord en invoquant le fait que cette ordonnance n’est pas exécutable aux États-Unis. Particulièrement, Yahoo ! plaide notamment que le 1er amendement de la Constitution américaine, relatif à la liberté d’expression, serait bafoué. Le juge de première instance donne gain de cause à Yahoo !, mais la Cour d’appel fédérale a finalement infirmé ce jugement. Entre autres éléments, l’instance supérieure note que « la France est en bon droit en tant que nation souveraine d’adopter des lois contre la distribution de propagande nazie en réponse à sa terrible expérience des forces nazies durant la Seconde Guerre mondiale ».

Prise 2 : affaire Google. En 2017, le monde a bien changé, mais le recours lancé par Google présente des ressemblances frappantes avec l’affaire Yahoo !. Malgré un contexte moins tragique (contrefaçon en l’espèce), le forum est le même, les enjeux sont fort similaires, les questions se recoupent.

Trois motifs

Google invoque ainsi trois motifs au soutien de son action. D’abord, l’exécution de l’ordonnance de désindexation violerait le 1er amendement, alors même qu’il y aurait d’autres solutions (notamment contacter d’autres moteurs de recherche, tels que Bing ou Yahoo !). Ensuite, Google se considère comme un « intermédiaire » (« interactive computer service provider ») et non comme un « fournisseur de contenu », ce qui lui ferait bénéficier d’une immunité en vertu du droit américain. Enfin, l’ordonnance canadienne aurait une portée extraterritoriale trop large et placerait notamment « les tribunaux du Canada dans une position de supervision de l’application des lois d’un État souverain (États-Unis) à l’encontre des citoyens américains en sol américain » [notre traduction]. Google insiste par ailleurs sur le fait que c’est une partie « innocente » et qu’elle a été condamnée « pour des raisons de facilité ». La prépondérance des inconvénients aurait tout bonnement évacué la « balance of equities ».

Prise 3 : l’affaire de tous. Il est à ce stade impossible de se prononcer sur la position que prendra le tribunal californien. On constate toutefois, encore et toujours, que « le problème en l’espèce se pose en ligne et à l’échelle mondiale »« l’Internet n’a pas de frontières — son habitat naturel est mondial » (dixit la Cour suprême du Canada). En ce sens, c’est avant tout un dialogue continu et durable qui doit s’instaurer entre toutes les juridictions, et plus généralement entre les États, pour surmonter ce défi.

Cela ne veut toutefois pas dire que chaque tribunal devrait systématiquement rendre des ordonnances dans sa propre juridiction : ce serait la porte ouverte à un « défilé judiciaire » réservé aux plus nantis. Il s’agit plutôt de balancer les intérêts des parties (in concreto) et les valeurs en cause (in abstracto). Dans l’affaire Google, le plus haut tribunal du pays a ainsi noté que, « jusqu’à maintenant, nous n’avons pas reconnu que la liberté d’expression exige qu’on facilite la vente illégale de biens ». Certains souhaitent cependant que l’analyse ne focalise pas uniquement sur la contrefaçon, mais évalue aussi les répercussions indirectes sur la liberté d’expression, ou encore sur le « droit à l’oubli ». C’est peut-être un élément expliquant que cette affaire évolue, au point de sauter de l’autre côté de la frontière.

Ce contenu a été mis à jour le 7 avril 2018 à 20 h 53 min.

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