La Cour suprême du Canada impose ses règles à Google et Facebook

Ottawa, ville administrative par excellence, n’échappe pas à un phénomène typique de la fin juin : les activités ralentissent avant les mois les plus chauds de l’année… Et pourtant, derrière les murs de la Cour suprême du Canada, l’effervescence était à son paroxysme. Les « neuf sages » avaient en effet les yeux rivés sur deux géants de la Silicon Valley, soit Google et Facebook, et devaient statuer sur certaines de leurs pratiques respectives.

C’est désormais chose faite. La Cour suprême du Canada s’est prononcée sur les enjeux de désindexation sur le moteur de recherche Google, ainsi que sur la possibilité de poursuivre Facebook ailleurs qu’en Californie, malgré ses conditions d’utilisation (vendredi 23 juin 2017). L’importance de ces deux décisions dépasse les seules frontières canadiennes. En effet, elles touchent à un problème global, celui de la réglementation des activités en ligne, et pourraient avoir des répercussions sur les internautes du monde entier.

Par ailleurs, c’est un signal fort du Canada en matière de commerce électronique et de protection de la vie privée. Voici un résumé de ces dix derniers jours à la Cour suprême du Canada.

Décision Google

La première affaire s’inscrit dans un contexte de contrefaçon en ligne. Un distributeur vendait illégalement par Internet des éléments de propriété intellectuelle appartenant à une entreprise de technologie basée au Canada. Étant donné que le contrefacteur oeuvrait à partir d’un endroit inconnu et qu’il bénéficiait de l’indexation de ses sites sur les moteurs de recherche, l’entreprise canadienne demande alors à Google d’intervenir. Google accepte de supprimer certaines pages, mais refuse de désindexer les sites Internet dans leur intégralité et se limite à l’extension google.ca.

C’est ici que le processus judiciaire s’enclenche et que la problématique émerge : la multinationale Google peut-elle se voir ordonner de désindexer l’ensemble des sites Internet du contrefacteur, et ce, sur une base mondiale (incluant google.com) ?

La Cour suprême du Canada répond par la positive — 7 juges contre 2. À la suite d’une analyse approfondie des principes régissant les injonctions, le plus haut tribunal du pays relève que la « seule façon » de faire cesser la contrefaçon, c’est d’intervenir « mondialement ». Autrement dit, Google doit désindexer les sites Internet intégraux et sur toutes les extensions (google.cagoogle.com, etc.). Les effets de cette décision concernent en ce sens tous les internautes, sans égard au pays d’appartenance.

Décision Facebook

Cette deuxième affaire concerne le consentement en ligne des conditions d’utilisation. Les « contrats électroniques » de ce type sont à la base de droits et obligations envers des prestataires de services et peuvent avoir de sérieuses conséquences. C’est le constat qu’a pu faire une utilisatrice Facebook : les conditions lui imposaient d’intenter une action devant les tribunaux californiens alors qu’elle résidait en Colombie-Britannique.

C’est dans ce contexte que la Cour suprême du Canada devait se prononcer : faut-il s’en tenir aux conditions d’utilisation et obliger les utilisateurs à intenter des recours en Californie plutôt que dans leurs propres juridictions ? Non, répond la plus haute instance — 4 juges contre 3.

Parmi d’autres raisons, la majorité des juges note que le consommateur, « simple citoyen », n’a pratiquement pas d’autre choix que d’accepter les conditions de Facebook, « multinationale présente dans des dizaines de pays ». Il y aurait alors une « inégalité flagrante du pouvoir de négociation entre les parties ».

De plus, cette affaire fait intervenir les droits quasi constitutionnels des Britanno-Colombiens à la protection de leur vie privée. En ce sens, les tribunaux canadiens devraient avoir la possibilité de se prononcer sur ces enjeux, « car ces droits jouent un rôle essentiel dans une société libre et démocratique et incarnent des valeurs canadiennes fondamentales ».

Les activités en ligne dépassent les frontières. D’aucuns pourraient voir un paradoxe entre ces deux arrêts, pourtant rendus à cinq jours d’intervalle par quasiment le même banc de juges. La désindexation doit être globale, tandis que la juridiction doit être locale…

En réalité, le vrai objectif est d’assurer l’effectivité des droits des internautes, de manière concrète à l’heure des technologies de l’information et des nouveaux modèles d’affaires. Ces enjeux ne sont pas propres au Canada. L’Union européenne, par exemple, connaît des défis similaires qui portent les noms de « droit à l’oubli » (en matière de renseignements personnels) ou encore de « consentement en ligne ».

Au bout du compte, comme le relève très justement la Cour suprême du Canada, « le problème en l’espèce se pose en ligne et à l’échelle mondiale. L’Internet n’a pas de frontières — son habitat naturel est mondial ».

Ce contenu a été mis à jour le 7 avril 2018 à 20 h 56 min.

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